Des projets de villes aux chaises devenues des icônes : la véritable histoire du cousin du maître de l’architecture moderne.
L’histoire de l’architecte et designer suisse Pierre Jeanneret, cousin du célèbre Le Corbusier, est fascinante : avec lui, il a conçu des bâtiments qui sont aujourd’hui considérés comme des chefs-d’œuvre de la modernité et, avec l’arrivée de Charlotte Perriand, il conçoit également des meubles qui sont devenus des icônes, voire des pièces de collection.
On peut dire que son histoire était unique. Lorsqu’un membre d’une famille devient célèbre, il est rare que d’autres membres de la même unité familiale émergent dans la même sphère avec la même reconnaissance unanime. Si le parent en question s’appelle Charles-Edouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le nom de Le Corbusier, l’adjectif « célèbre » est réducteur. Cela dit, la passion pour l’architecture qui animait Pierre Jeanneret était certainement authentique et durable, tout comme la relation et l’estime mutuelle, au-delà de toute forme de compétition, qui le liait à son cousin. En témoigne le fait qu’ils ont presque toujours travaillé ensemble, signant des projets qui sont entrés dans l’histoire.
Mais que sait-on de Pierre Jeanneret ?
Né à Genève en 1896, il étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de sa ville natale et, après avoir terminé ses études, commence à travailler dans l’atelier parisien des frères Perret. Il y rencontre Auguste Perret, véritable visionnaire et l’un des premiers architectes à utiliser le béton armé dans ses projets, des constructions audacieuses qui ont fortement influencé l’œuvre de Pierre Jeanneret et son approche du béton armé.
1922 marque le début officiel de sa collaboration avec Le Corbusier dans l’atelier du 35 rue de Sèvres à Paris. À partir de cette année-là, les deux noms seront toujours associés, surtout en ce qui concerne les projets qui ont fait date. Parmi eux : la Ville Savoye, construite entre 1929 et 1931 à Poissy, près de Paris, considérée comme l’une des plus grandes expressions du Mouvement moderne ainsi que le manifeste des cinq points de l’architecture moderne énoncés par Le Corbusier. Les éléments qui la caractérisent sont : la façade et le plan, tous deux totalement libres de contraintes, les piliers, qui élèvent le volume au-dessus du niveau du sol (ce que le béton armé a finalement permis de faire), le jardin du toit et les fenêtres en ruban.
Un autre projet bien préservé, qui porte la signature de Pierre Jeanneret et de Le Corbusier, est un double logement à Paris construit entre les années 1920 et 1930 dans la rue du Docteur Blanche, aujourd’hui siège de la Fondation Le Corbusier. À l’époque, les deux clients étaient son cousin Albert Jeanneret et le collectionneur d’art Raoul La Roche, c’est pourquoi la maison s’appelle encore Maison La Roche-Jeanneret. La difficulté de l’ensemble du projet résidait dans la forme du terrain disponible, qui était étroit et limité par de trop nombreuses contraintes. Pour surmonter cela, ils ont conçu deux maisons séparées, mais contiguës et reliées par des références architecturales continues. A partir de la porte d’entrée, un chemin en pente se dévoile, pénétrant profondément dans le terrain et permettant d’accéder aux deux maisons, caractérisées par des volumes propres et des lignes rigoureuses.
La projets et l’importance de l’Inde
Si nous voulons énumérer les projets conçus par les deux architectes, nous devrions certainement mentionner d’autres ouvrages, tels que le Pavillon Suisse de la Cité internationale universitaire de Paris en 1932-33, mais peut-être, pour réduire la liste, l’ouvrage qui a le plus marqué le partenariat entre les deux cousins, après une interruption due au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, est celui construit en Inde en 1951 à la suite de l’indépendance de la Grande-Bretagne : une ville entière dans la nouvelle capitale de Chandigarh, dans l’État du Pendjab. Le Corbusier et Jeanneret, en collaboration avec les architectes britanniques Maxwell Fry et Jane Drew, ont été chargés par le gouvernement indien de réaliser cet ambitieux projet en partant de zéro et en passant de l’échelle de l’architecture à celle du design.
Pierre Jeanneret s’est rendu en Inde pour superviser les travaux. De 1951 à 1965, depuis la maison qu’il a conçue au numéro 57 du secteur 5 à Chandigarh, il a géré tous les aspects de la construction du plan directeur, supervisant l’exécution du projet en tant que directeur. C’est dans ces années que la sensibilité et le goût de Pierre Jeanneret se manifestent également en tant que designer. En Inde, en effet, l’architecte s’est engagé non seulement à concevoir le mobilier et les intérieurs de nombreux bâtiments parmi les plus emblématiques de Chandigarh, mais aussi à trouver la meilleure façon de les produire, afin de soutenir l’industrie et l’artisanat locaux. Intégrant la tradition et les matériaux typiquement indiens dans la réalisation de ses dessins, Jeanneret a su combiner des formes minimales essentielles avec des matériaux simples comme le bois, la canne et l’acier, trouvant un point de rencontre entre les idéaux modernes plus européens et l’esprit rural du travail des artisans indiens dans l’utilisation raffinée du teck et du bois de rose locaux. Les designs simples de Pierre Jeanneret et l’utilisation de matériaux locaux modestes ont conduit à la production en masse de beaux meubles abordables. A tel point que la célèbre galerie Kukje à Séoul consacrera une exposition en 2016 au mobilier conçu pour le projet Chandigarh.
Le mobilier
Et à propos de mobilier, on ne peut pas ne pas mentionner l’Equipement intérieur de l’habitation que Pierre Jeanneret, avec Le Corbusier et Charlotte Perriand, a conçu pour le Salon d’Automne en 1928. Ainsi que ceux connus sous le nom de Casiers Standard, un système de mobilier de conteneur conçu pour le pavillon de l’Esprit Nouveau en 1925 avec Le Corbusier. Et ce sont précisément ces meubles qui sont encore en production aujourd’hui grâce à la collaboration commencée en 1960 entre Cassina et la Fondation Le Corbusier avec la ligne LC Collection.
L’expérience indienne de Pierre Jeanneret l’a également amené à participer à d’autres projets. Pendant ses années de travail, il a également été doyen de l’école d’architecture de Chandigarh et consultant pour de nouveaux projets urbains dans l’État du Pendjab, au nord-ouest du pays. Il a également participé à des projets d’urbanisme pour d’autres villes indiennes, notamment Sundar Nagar, Delhi et Ahmedabad, la plus grande ville de l’État du Gujarat, dans l’ouest du pays. D’un point de vue humain aussi, les dernières années vécues en Inde ont été spéciales pour cet homme qui, né en Suisse en 1896, a trouvé sa dimension idéale à l’autre bout du monde. A tel point que lorsqu’il est mort en 1967 à Genève, selon son testament, ses cendres ont été dispersées sur le lac Sukhna de Chandigarh.